20 août 2017 7 20 /08 /août /2017 15:44

S'il me faut définir une, et une seule, caractéristique, qui spécifie quel est mon mode d'être au monde, en tant qu'être humain, je dirai que c'est cette dichotomie, qui revient toujours, entre, d'une part, celui qui, sans cesse, éprouve des sensations, qui, sans cesse, est vibrant d'émotions, qui, sans cesse, est traversé d'idées, et que j'appellerai le moi, et d'autre part cette autre partie, qui peut prendre à tout moment le dessus sur toutes ces activités — en sorte qu'elle m'apparaît comme toujours présente quoique plus ou moins explicitement —, et qui est capable, même le plus fugitivement possible, de regarder tout ça à une distance qui, même la plus infime qu'elle puisse sembler, n'en reste pas moins une distance, ce qui suffit à donner l'impression que, elle, cette autre partie, n'est pas du tout concernée de la même façon que le moi, voire pas concernée du tout ; cette autre partie, donc, je l'appellerai alors le je. Je dis que ceci est ce qui me semble me caractériser en tant qu'être humain, et qui me semble aussi me différencier de l'être au monde de l'animal, dont je dirais qu'il a un moi, plus ou moins proche du mien, mais pas le je ; cependant, je dois reconnaître que je ne suis déjà pas sûr que je partage ce mode d'être avec les autres êtres humains, c'est une supposition que je fais en voulant généraliser, à l'espèce, ce que j'observe en moi seul, et ne peux évidemment pas observer directement chez l'autre ; lui seul peut le dire, toi seul(e) qui me lis ou m'entends, peux le dire, pour ce qui te concerne.

Mon corps est effectivement le siège permanent de flux d'informations sensorielles nombreux, divers et incessants. Ces flux proviennent soit de mon environnement et comprennent les cinq sens classiques (la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher), soit de mon corps lui-même et consistent alors en impressions me renseignant sur l'activité et l'état des différents organes qui le composent. Ces flux d'informations, en provenance de l'extérieur ou de l'intérieur de mon corps, convergent dans le cerveau, qui est en réalité le seul lieu où je les ressente en tant que sensations : ce ne sont pas mes yeux qui voient, ils reçoivent seulement des informations électromagnétiques qui sont transmises à mon cerveau, où elles sont interprétées sous la forme de ce nous appelons la vue, autrement dit comme des images. Il en va de même pour toutes les autres informations en provenance de l'extérieur de mon corps, c'est mon cerveau qui les reconstitue et élabore les représentations, très basiques à ce stade, du monde extérieur que je m'en fais et que j'appelle sensations : images, sons, odeurs, etc. Et il en va de même encore pour toutes les informations qui proviennent de mon corps lui-même, qu'il s'agisse de ces impressions, parfois extrêmement diffuses, qui constituent l'état de mes différents organes et qui m'arrivent de l'intérieur, ou d'informations externes comme le toucher, ou le regard (ou l'ouïe, l'odorat, et même le goût), que je peux diriger aussi sur mon propre corps : tout ceci encore, c'est mon cerveau qui le reconstitue et l'élabore, cette fois en représentations des éléments de mon corps. Ce processus, par lequel mon cerveau retient une partie des informations qu'il reçoit en flux incessants et en fait des représentations basiques qu'on appelle sensations, ce processus a commencé bien sûr très tôt dans ma vie embryonnaire, et se produit aussi, de manière tout aussi certaine, dans tout organisme doté d'un système nerveux central. À ce niveau, très élémentaire donc, de fonctionnement du cerveau — autrement dit à ce niveau très élémentaire de ce qu'on peut appeler le psychisme —, il y a cependant déjà capacité à distinguer dans le monde différentes entités, ainsi que capacité à coordonner les différentes sources d'information : le visuel, l'auditif, etc., en provenance d'un même animal, par exemple, peuvent être associés ensemble comme se rapportant à une seule et même entité.

De même que toutes les sensations que j'éprouve ne prennent en réalité leur existence pleine et entière que dans mon cerveau, et que c'est ce cerveau qui reconstitue mon impression ordinaire d'un monde existant à l'extérieur de moi ainsi que l'impression habituelle que j'ai de mon corps (que ces impressions correspondent ou pas à ce qu'on pourrait vouloir qualifier de réalité objective), de même pour mes émotions, que je peux assimiler à des formes particulières de sensations liées à mon corps, des sensations secondaires, créées par mon cerveau en lien avec les sensations primaires, mais vraisemblablement créées aussi en réaction aux idées suscitées par ces dernières. Il est certain que mes émotions ont une action sur mon corps, en fait c'est même précisément à cela qu'elles servent, et il est non moins certain que, comme toutes les sensations de mon corps, je ne les ressens en réalité que dans mon cerveau. De ce point de vue, mon corps pourrait n'être considéré que comme le moyen qu'a trouvé mon cerveau de se créer des boucles de rétroaction ! Dit ainsi, c'est évidemment excessif, puisqu'il est, cette fois sûr et certain, que, pour qu'il y ait système nerveux, il faut qu'il y ait au préalable un corps ; mais si on considère — ce qui est une vue de plus en plus partagée — que déjà dans certains êtres unicellulaires on peut discerner des rudiments très primitifs de psychisme animal, non seulement sous forme de réactions aux stimuli extérieurs mais même aussi sous forme de bribes de mémorisation de ces réactions et donc d'apprentissage, alors rien n'empêche de considérer que c'est un tel psychisme qui, dès que plusieurs cellules se sont associées dans certains êtres pluricellulaires unifiés, à la fois a présidé à l'émergence en eux d'un système nerveux, et à la fois a instauré ces boucles de rétroaction, dudit système nerveux sur le reste du corps, que sont les émotions, boucles qui servent alors sans doute de soupapes de sûreté pour le troisième type d'activité que ce système nerveux peut manifester, les idées.

Concernant ce troisième type, enfin, le plus difficile est peut-être d'arriver à se représenter quel peut être son fonctionnement sans le langage, simplement en tant que couche d'abstraction résultant de processus imbriqués d'analyse et de synthèse, de discernement des éléments semblables et des éléments différents entre diverses expériences successives, tout ceci ne nécessitant donc pas forcément l'usage de mots. Cette troisième fonctionnalité du cerveau entretient par contre clairement des rapports étroits avec les processus de mémorisation : il faut que ces derniers aient atteint un degré suffisant pour que les processus d'analyse et de synthèse puissent s'exercer sur des expériences vécues dans des temps successifs..., mais réciproquement aussi les processus d'analyse et de synthèse vont permettre d'améliorer grandement les capacités de mémorisation, au point qu'il est finalement difficile de savoir "qui" a commencé dans cette histoire-là. Quoi qu'il en soit, nous voici donc avec trois sortes d'objets qui peuvent servir de contenu à notre psychisme, et qu'il manipule : des sensations, des émotions, des idées ; tous ces objets atteignent leur développement le plus abouti dans un psychisme lié à un cerveau, et plus le cerveau sera complexe, plus il y a de chance que ces objets puissent l'être aussi, en sorte qu'il est vraisemblable que les animaux les plus évolués atteignent à une certaine notion d'un moi et d'un monde extérieur à ce moi, et, dans ce monde extérieur, à l'identification d'autres êtres, mais sans doute est-ce là que s'arrêtent les capacités du monde animal. Le pas de plus serait de pouvoir se représenter que ces autres êtres, ces autres individus, sont eux aussi dotés d'un moi semblable au mien, mais ceci suppose la capacité à se mettre à distance complète du moi, ceci suppose l'accès au je.

Rien n'oblige à penser le je comme étant d'une essence différente de tout le reste de l'univers, mais si on tient cependant qu'il est donc d'une nature différente du psychisme animal, ceci mène à des conséquences un peu surprenantes à priori. Nous pouvons observer, en effet, que, si les êtres vivants sont constitués, au final, des mêmes particules élémentaires que les rochers, par exemple, cependant l'organisation de ces particules dans les deux cas est de nature différente : la vie suppose un agencement particulier de ces dernières, la cellule. De même, alors, que les particules élémentaires peuvent être considérées comme les briques de base de tout ce qui est dans l'univers, de même les cellules sont-elles les briques de base de tout ce qui est vivant. Mais à nouveau, pour qu'apparaisse un psychisme, il faut que ces briques de base que sont les cellules s'associent, s'organisent, d'une manière particulière, l'organisme multicellulaire unifié ; il faut qu'il y ait une coopération hautement centralisée entre un groupe de cellules pour que puisse se manifester et se développer un psychisme, avec toutes ses caractéristiques telles qu'elles viennent d'être explorées, un psychisme capable d'élaborer des sensations, des émotions, des idées. Si alors on tient que le je, cette forme particulière d'être au monde qui semble bien propre à l'être humain, est encore une étape de plus, qu'elle ajoute un petit quelque chose de plus au psychisme animal, tout comme le psychisme animal ajoute un petit quelque chose de plus à la vie cellulaire, et tout comme la vie cellulaire ajoute un petit quelque chose de plus à la physique élémentaire des particules, alors on est obligé de considérer que ce je tient à une forme de coopération, une forme d'agencement ou d'organisation, qui lie des organismes multicellulaires entre eux. Bien sûr, une telle organisation ou coopération ne nous apparaît pas de manière aussi matérialisée que la coopération des cellules dans un même corps, ni que la coopération des molécules protéiniques et autres dans une même cellule ; et puis, comme conséquence de ce flou, on peut se demander quelles sont les limites de cette organisation : l'espèce humaine seule ? l'ensemble des espèces animales ? l'ensemble de la biosphère de notre planète ? l'ensemble de notre système solaire ? tout l'univers ? ; et puis, enfin, quelles que soient ces limites exactes, la conséquence de tout ceci est que l'amour, cette fois, n'est plus une option, mais la condition même de la conscience.

 

Partager cet article

Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Anon
  • Le blog de Anon
  • : Libres réflexions d'un croyant (?)
  • Contact

Partager la Parole

     
  Chaque jour un texte d'évangile :

http://evangile-partage.over-blog.net

Participez aux commentaires ... !
 
     

Archives

Catégories