8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 14:46

 

 

 

 

 

 







Cette belle prière, si simple et si complète à la fois. Notre Père qui es aux cieux

 

 

 

 

 

 

Our Father ..., par Cornelis Monsma, 2005

"Notre", d'abord : je ne peux pas le dire seul, même si je suis seul physiquement, dans la nature, dans une église, dans ma chambre, ou seul psychologiquement, dans le train, au travail, à la maison, voire à l'église. Je suis invité à me rappeler que je fais partie d'une grande famille, l'humanité. En disant 'Notre' Père, j'associe à ma prière, d'abord tous ceux qui me sont proches, ma famille, mes amis, mon conjoint, mais aussi ceux qui sont moins proches, mes voisins, mes collègues, les paroissiens, et jusqu'aux extrémités de la Terre ; je les associe à ma prière, et je m'associe à leur prière, je suis invité à me laisser incorporer dans ce grand organisme informel de la fraternité universelle des hommes, et à y prendre ma place et ma part.

 

 

Je ne peux pas dire "Notre Père" sans me sentir invité à la solidarité humaine, et particulièrement à la solidarité avec les plus petits, les plus faibles ; en même temps, et heureusement, aussitôt que je le dis, c'est l'Esprit qui vient à mon secours avec des gémissements inexprimables. Cet Esprit qui me fait appeler "Père" celui qui est tellement au-dessus de tout, tellement éloigné de notre perception ordinaire, tellement au-delà de ce que nous pouvons connaître ; et nous savons que le mot même utilisé dans la prière originale est encore plus fantastiquement audacieux : ‘papa’.  Cet Esprit qui me donne ainsi de ne plus jamais être seul, puisque fils d’un tel ‘père’ et donc frère de la multitude humaine. Cet Esprit enfin qui me donne le courage de ne pas être seulement frère dans le vague lointain des autres en général, mais très concrètement de poser des actes en faveur des personnes physiques que je suis amené à rencontrer, régulièrement ou occasionnellement.

 

Ce Dieu, dont je ne peux que reconnaître l’altérité, la transcendance absolues, si je l’accepte comme créateur de l’univers, Jésus, dans la continuité de la tradition de son peuple, nous a appris à le nommer, et le concevoir, comme un père : notre père de l’autre monde, de ce monde qui ne tombe pas immédiatement sous les sens, même s’il est aussi pleinement là que le monde commun. Ce monde, nous l’appelons ‘ciel’, puisqu’il est aussi invisible que cet espace qui s’étend au-dessus de nous à l’infini. Et comme le ciel n’est certes pas séparé de la terre, mais l’engloberait plutôt, voire la pénètrerait, notre père qui es aux cieux, tout en étant radicalement autre, tu es aussi intimement proche de mon esprit, comme ce nom de père le dit.

 

Notre Père qui es aux cieux, ton Esprit a mené le peuple juif à te découvrir dans ta sollicitude à notre égard, à rejeter les caricatures de père fouettard et père la revanche, de chef de toutes les armées et de toutes les polices ; à dissocier ta toute-puissance de créateur des modèles des puissances temporelles, qui font sentir leur pouvoir à leurs sujets parce qu’elles ont peur de perdre ce qu’elles n’ont que reçu, quand ce n’est qu’usurpé. Et ce double mouvement de ton être, qui pousse le Père au-devant de ses créatures, les bras ouverts, et par lequel l’Esprit pousse tes créatures à aller à ta rencontre, à ta recherche, nous a donné ton Fils, Jésus, premier-né parmi les hommes à s’en être remis à toi inconditionnellement. Et nous autres, à sa suite, osons te nommer notre père, qui es aux cieux.

 

 

 Que ton nom soit sanctifié
 
 

Hallowed be Your Name, par Cornelis Monsma, 2005

Que ton nom soit sanctifié ; après l’adresse, qui situe mon interlocuteur et me situe par rapport à lui, les vœux. Nous voulons être polis, c’est la moindre des choses ; nous commençons donc par souhaiter à notre vis-à-vis tout ce qui pourrait lui faire plaisir, ce qui, comme tout vœu sincère, nous oriente aussi dans une certaine direction, à savoir de faire tout ce qui est de notre ressort pour que ces vœux se réalisent. Avec Dieu, d’ailleurs, un vœu ne peut agir que sur celui qui le formule ; si je souhaite, par exemple, une bonne santé à une personne de mon entourage, ce vœu peut éventuellement avoir un effet par lui-même, parce qu’il aura fait plaisir à cette personne, et ce vœu m’engage aussi à rester à l’avenir prévenant envers elle ; mais avec Dieu, aucune amélioration de son être n’étant envisageable, par définition, seule notre attitude à son égard est susceptible d’évoluer.

 

Ce qui n’exclue pas que son amour y trouve aussi son compte ! Pour reprendre la comparaison, on ne peut pas souhaiter à Dieu une meilleure santé, ni prospérité, etc … Mais du bonheur, oui. Et comme le bonheur de Dieu, qui est d’aimer et d’être aimé, ne dépend en rien de lui-même, mais au contraire dépend en tout des autres, et des autres dont nous sommes, tout vœu adressé à Dieu se retourne vers celui qui le formule. Si je prie, c’est en premier pour me transformer, me convertir.

 

Le nom est ce qui permet d’extraire de la masse indéterminée du tout, de distinguer un être particulier de la foule anonyme ; c’est par mon nom que je suis devenu une personne unique, à la différence des animaux sauvages qui ne sont guère plus que des individus, représentants quasiment interchangeables de leur clan, colonie, et parfois espèce. Oui, par mon nom, je suis un univers à moi tout seul ; et Dieu, lui, a tous les noms. Dieu a particulièrement tous les noms des victimes des guerres, des victimes de l’holocauste et des holocaustes, des guerres sales et des guerres soit-disant propres, des guerres militaires et des guerres économiques, des millions de personnes sacrifiées par la faim sur l’autel du confort des retraités de l’occident. Dieu a prioritairement le nom des personnes les moins respectées, les plus humiliées, négligées ; de celles dont le nom est le moins un nom, Dieu endosse avec la plus grande préférence ce nom-là.

 

Que ce nom soit sanctifié : je ne peux sans doute pas à moi tout seul mettre fin aux injustices et iniquités, aux structures intrinsèquement perverses sur lesquelles est construite, et dont vit et se survit, notre société ‘avancée’, initialement occidentale et maintenant quasi mondialisée. Je ne peux même que difficilement ne pas en être peu ou prou complice, particulièrement si je vis dans un des pays les plus riches. Mais je dois faire porter tous mes efforts pour en participer le moins possible, refuser cette fuite qu’est la course à toujours plus d’avoir, de possessions, de privilèges, d’honneurs. Qui peut prétendre au moindre honneur dans le même temps où tant de ses frères sont humiliés et avilis ? Qui pourrait prétendre être sauvé tant qu’un seul homme, une seule femme, reste nu, a faim, est persécuté, pour son confort ? Que ton nom soit sanctifié : comment prétendrais-je te connaître si je ne reconnais pas mes frères ?

 

Nommer, action à laquelle participent à part égale la tête et le corps ; la tête conçoit ce que je vais nommer, mais pour le formuler, il faut que le corps y donne sa matière, premièrement sous forme d’air, tiré des poumons, mais aussi par tous les organes, car tous peuvent concourir à la résonance, qui s’exprime finalement par la gorge et la bouche, au niveau médian entre la tête et le corps. Que ton nom soit sanctifié, que ma parole soit respectueuse, mesurée, aimante, en toute circonstance. Par la capacité de parole, tu nous as fait don de ton don essentiel, tu nous as fait don de la capacité de créer, tu nous as faits à ton image ; c’est par ta parole que le monde est, que toute chose est venue et demeure. Par notre parole, nous pouvons prolonger et poursuivre ton œuvre, y participer, et ainsi finir par te nommer toi aussi.

 

 

 Que ton règne vienne
 
 

Your Kingdom come, par Cornelis Monsma, 2005

Que ton règne vienne : nous ne parlons évidemment pas ici d’un règne à la façon temporelle des souverains de ce monde, lesquels ne peuvent pas exercer leur pouvoir sans un minimum de coercition policière, combinée en proportions variables à un minimum de mystification, même s’ils n’en sont pas forcément conscients. Ton règne ne saurait d’aucune façon s’imposer, ni par la force, ni par la ruse. Ton règne, étant celui de l’amour, nécessite au contraire l’assentiment total et la participation active et volontaire de ses sujets.  Et l’amour ne s’achète pas, l’amour ne se marchande pas ; comment peut-il encore être question pour certains de rachat de ton amour, de rançon pour nos fautes, de victime de substitution, et toutes ces farines de même tabac ?

 

Ton amour est inconditionnel, tout entier donné, sans possibilité de retour en arrière, sans issue de secours ; tu es entièrement désarmé, entre nos mains, à notre merci, comme un petit enfant qui dépend en toutes choses de ses parents. Qu’en faisons-nous ? Non, tu ne nous imposes rien, l’amour jamais ne s’impose. Mais tu nous demandes quelque chose, tu nous demandes de penser à toi, de temps en temps au moins, de penser à te nourrir, à te vêtir, à t’aimer. L’entendons-nous ? Tu as besoin de nous.

 

Non, Dieu n’est pas le dieu des armées, sauf sans doute des armées célestes qui n’ont pas d’autre arme que celle de leur maître, l’amour. Dieu n’est pas le dieu tout-puissant, sauf peut-être parfois quand ses entrailles se tordent au spectacle de la détresse de ses enfants, et qu’alors jaillit de son cœur le geste qui sauve. Dieu n’est pas le juge qui châtie ; s’il juge, jamais il ne prononce de condamnation, mais éventuellement quelque travail d’intérêt général, et surtout d’intérêt particulier pour celui qui l’exécutera, car ce sera un travail qui le réconciliera avec lui-même, et avec ses frères, et avec Dieu ; et encore, ce travail n’est-il jamais imposé, toujours proposé. Inlassablement, la patience de Dieu étant infinie, il se tient à la porte de notre cœur comme un mendiant, attendant que nous voulions bien l’entrebâiller, nous ouvrir à la loi de Dieu, nous ouvrir à l’amour.

 

Le règne de Dieu, c’est le règne de l’amour entre les hommes. Et parce que Dieu est désarmé en toute chose devant l’homme, parce que jamais il ne peut lui imposer sa volonté, parce qu’il l’a voulu à son image et ressemblance, Dieu ne peut pas intervenir dans les affaires entre les hommes. Si parfois, peut-être, il intervient en faveur de certains, dans ce que nous appelons des miracles, jamais il ne pourra empêcher qu’un homme fasse du tort à un autre homme. Nous sommes condamnés à nous aimer, à nous entendre, au moins à nous mettre d’accord sur un modus vivendi qui ne lèse personne plus qu’un autre, qui soit équitable. L’argument selon lequel, s’il y avait un dieu, il ne devrait pas permettre de telles injustices, n’est pas recevable. Le règne de Dieu, Dieu le propose, mais ne peut l’imposer, et nous avons à faire tout notre possible pour qu’il advienne, mais cela ne suffira pas car il ne dépend pas que de nous mais encore de chaque homme et de tout homme, et c’est bien la raison pour laquelle, pour qu’il vienne, nous devons aussi prier.

 

Nous prions pour que Dieu nous éclaire sur les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour faire venir son règne, et nous prions pour que le cœur des hommes s’ouvre à l’amour de Dieu, s’ouvre à l’amour que Dieu souhaite pour tous les hommes mais auquel il ne peut les obliger. Oui, Seigneur, que chacun de nous chasse toutes les peurs, les appréhensions qui obscurcissent l’espérance et la volonté, que ta lumière vienne faire tomber les murs dont nous nous entourons en croyant nous protéger mais qui ne font que nous enfermer et nous empêchent de t’accueillir. Et inspire-nous les paroles et les gestes qui tissent les liens avec nos frères ; inspire-nous la vérité de relations fraternelles, où l’autre est respecté à l’égal de soi, ni repoussé ni exalté, ni instrumentalisé ni divinisé, ni étranger ni miroir. Délivre-nous de toutes nos prisons de solitude, marche avec nous sur la terre des hommes.



 

 Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel



Thy will be done, par Cornelis Monsma, 2005

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel : on suppose effectivement que dans ce ‘ciel’ qui symbolise le domaine propre du père, sa volonté ne rencontre aucun obstacle et est donc accomplie aussitôt qu’exprimée. Mieux, à peine le père commence-t-il à concevoir une volonté, qu’elle se trouve déjà formulée par le fils, et à peine le fils formule-t-il la volonté du père, qu’elle se trouve déjà réalisée par l’esprit. Nous ne doutons pas que la volonté de Dieu s’accomplisse sur terre, un jour ; mais nous prions pour qu’elle s’accomplisse le plus tôt possible. Tout n’est ici qu’affaire de temps. Si Dieu ne saurait obliger aucune personne à quoi que ce soit, il est aussi infiniment patient, et finira donc par obtenir gain de cause, ne serait-ce que par la lassitude des hommes, mais quand ? Et ce n’est pas lui que la question concerne en premier, lui pour qui mille ans sont comme un jour, mais nous, les hommes.

 

Nous sommes ici dans le domaine le plus contraignant de cette prière. Il s’agit maintenant d’agir, impérativement. Quand la sanctification du nom du Père concernait principalement la conversion de nos pensées, et la venue de son règne, la conversion de nos sentiments, l’accomplissement de sa volonté sur terre, elle, se réfère à la conversion de nos actions. Esprit, âme et corps, les trois vœux que nous formulons dans la première partie de cette prière visent à notre conversion dans les trois dimensions constitutives de notre être. La conversion, le retournement, doivent être complets ; nous devons nous incarner. Si nous nous contentons de la pauvreté ‘en esprit’, selon la ligne de défense bien connue, nous restons au milieu du gué. C’est à la pauvreté réelle, matérielle, que nous sommes appelés, parce qu’elle n’est que le reflet de notre pauvreté spirituelle. Mais c’est un appel, ce qui signifie que la pauvreté subie ne saurait non plus constituer un idéal ; et précisons que c’est un appel à la pauvreté, pas à la misère (la misère signifie un manque du minimum nécessaire, alors que la pauvreté, c’est de n’avoir que, mais aussi tout, ce qui est vital).

 

Heureux les pauvres, oui, mais les pauvres pour l’esprit, ceux qui acceptent et sont heureux de leur pauvreté financière, parce qu’ils connaissent leur pauvreté morale, qu’elle est là, bien présente, devant leurs yeux, en permanence, et qu’avec cette connaissance, tout désir de possession semble ridicule, hors sujet. C’est au contraire cette connaissance qui constitue la plus grande richesse possible sur terre. Et alors, que ta volonté soit fête … Oui, ta volonté n’est plus, alors, une contrainte extérieure, un arbitraire étranger, mais se révèle au contraire en connivence étrange avec mon moi le plus intime, et que parfois j’ignorais même, et surgit alors comme une révélation d’une telle évidence, que je ne peux que dire, avec le psalmiste : tu m’as appelé dès le sein de ma mère, avant même que je fus conçu, tu me connaissais.

 

Que ta volonté soit faite : je me lance sur un chemin qui ne sera pas de tout repos, qui me mènera je ne sais où ; tu vas m’éprouver, me désarçonner, mais je crois, je sais, que ça en vaut la peine, et même, que je n’ai pas vraiment le choix, juste de résister, me débattre – et certainement il m’arrivera de le faire – sans autre conséquence que de retarder l’inévitable. Mais je sais aussi que je ne suis pas vraiment seul sur ce chemin, que tu y es, là, à mes côtés, et que tu m’apportes tout ton soutien et plus encore. Aussi puis-je maintenant sans hésitation, après avoir formulé ces trois vœux à ton égard, en formuler aussi trois autres pour mon bénéfice. Et là encore, ce n’est pas parce que tu as besoin que je les dise, pour savoir ce dont j’ai besoin ; non, c’est pour moi, pour mon bénéfice, que je les formule, parce que c’est en les formulant que je vais les comprendre.

 

Les trois vœux pour Dieu visaient successivement la conversion : de notre tête, de notre esprit, par le nom de Dieu ; de notre cœur par son règne ; et de notre corps par sa volonté. Tête, cœur et corps, cette descente symbolisait aussi cette incarnation, jusqu’au plus profond de la matière, à laquelle nous appelle cette conversion. Les trois vœux que nous formulons pour nous vont nous faire suivre le chemin inverse, symbolisant le retour à Dieu, à la louange de sa gloire. Comme la pluie qui, après être descendue dans la terre, ne remonte pas vers le ciel sans produire sa moisson de fruits. Là, encore, se trouve notre participation à la résurrection, dès aujourd’hui ; cette résurrection, vers laquelle la création entière tend dans des gémissements inexprimables, nous exprimons notre souhait qu’elle advienne, et sans doute la faisons advenir, par les trois vœux qui viennent maintenant.



 

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour 



Your daily Bread, par Cornelis Monsma, 2005

Donne-nous, aujourd’hui, notre pain de ce jour. Bien sûr, ce pain évoque irrésistiblement le pain eucharistique, mais quand même, il s’agit d’abord du pain nourriture. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais il vit quand même aussi de pain. À quelques exceptions près, nous avons besoin de pain, chaque jour, pour vivre. Ce pain, nous te prions donc de nous le donner. Sans doute, nous ne demandons pas qu’il nous tombe du ciel, tout rôti, comme les alouettes ! Bien sûr encore, nous l’envisageons comme résultat de notre travail ; nous préférons, même, qu’il en soit ainsi, plutôt que de le devoir à la charité, qu’elle soit organisée ou spontanée, publique ou privée. Mais voilà, justement, il arrive, et malheureusement peut-être de plus en plus souvent, que malgré tous leurs efforts, le fruit du travail des hommes ne suffise pas à leur fournir du pain, soit que ce fruit leur soit volé, soit encore qu’ils soient empêchés de mettre en œuvre leur capacité de travail. Oui, donne-nous notre pain de ce jour, que notre travail soit, justement, récompensé.

 

Justement, mais aussi raisonnablement. Nous ne demandons pas plus que ce qu’il nous faut pour une journée. Que chaque jour notre travail nous fournisse notre nourriture d’un jour. Pas question ici de thésauriser, de savoir anticiper les jours de vaches maigres, d’être un gestionnaire avisé et prudent ! Est-ce à dire que Dieu serait opposé à un minimum de prévoyance ? Peut-être pas, mais nous ne prions pas pour plus que ce qui est nécessaire, le minimum ; et le minimum est bien là : avoir de quoi manger chaque jour, et pour seulement un jour à la fois, ce qui a l’avantage de ne pas nous laisser nous installer, de nous obliger à rester ouverts à l’avenir, à ce qui peut nous advenir, et par lequel Dieu nous invite à avancer sur le chemin qui nous mène à lui.

 

Maintenant, au-delà du pain terrestre, comment ne penserions-nous pas aussi au pain céleste ? À ce pain descendu du ciel pour nous donner, mieux que la vie de chaque jour, la vie dont le jour ne finit jamais. En fait, la traduction française ne rend pas compte d’une nuance du texte original : l’expression utilisée ici évoque la ration de nourriture, qui était donnée aux soldats romains chaque soir, et qui devait leur permettre de tenir jusqu’au lendemain soir. En nous rappelant que, pour les juifs, le jour commence le soir, et dure jusqu’au soir suivant, c’est bien le pain gagné par notre travail de ce jour, que nous demandons, mais ce pain est en même temps celui qui doit nous permettre de gagner le jour à venir, c’est-à-dire autant de survivre physiquement un jour de plus, que de pénétrer dans le jour de l’autre vie, de l’au-delà, ni séparé de, ni confondu avec, cette vie-ci.

 

Que le pain que nous avons gagné par notre travail de ce jour nous donne la subsistance pour vivre dans le jour à venir ! Que l’aujourd’hui de notre vie terrestre soit aussi le lieu depuis lequel nous atteignions à l’aujourd’hui qui ne finit jamais, à la vie éternelle ! Que le vieux commandement, "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front", que certains considèrent comme une malédiction, soit au contraire notre bénédiction. Qu’en gagnant notre vie, nous gagnions aussi LA vie. Car travailler, loin d’être une condamnation, ni même un moyen de rédemption, est le moyen essentiel par lequel nous devenons ce que nous devons être, le moyen par lequel nous nous formons, nous apprenons à nous connaître, et nous transformons (à condition, cependant, qu’il s’agisse vraiment de travail et non de tâche mécanique), et le moyen par lequel nous prenons place dans la vie de la société, par lequel nous pouvons être en relation véritable, d’égal à égal, avec les autres.

 

De toute façon nous sommes des êtres humains, à la fois terrestres et célestes, et la terre est le seul lieu depuis lequel nous puissions gagner le ciel. Ce n’est pas en nous réfugiant dans une pseudo spiritualité éthérée que nous gagnerons notre paradis, mais en prenant à bras le corps cette vie-ci, cette terre avec tous ses habitants, notre société humaine avec tous ses problèmes, en les travaillant, en les transformant à l’aide du levain de l’amour ; c’est ainsi que nous ferons advenir le ciel sur la terre. Et toute personne qui agit ainsi, même si elle ne se dit pas croyante, participe de l’avènement du royaume ; qui n’est pas contre nous est avec nous. Merci Seigneur pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté, qui hâtent ta venue. Merci pour cette force d’amour à l’œuvre dans ta création, ton esprit saint, qui féconde le monde, et dont ton fils est venu nous révéler la puissance entière.

 

 

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés 



As we forgive, par Cornelis Monsma,2005

Pardonne-nous nos offenses. Donne-nous notre amour quotidien. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu, et qui lui confirme qu’il est aimé. Personne ne peut vivre sans amour, pas même les animaux, les plantes et toute la création, mais encore moins les hommes. Et sans l’amour que tu nous portes, et que nous pouvons alors aussi nous porter les uns aux autres, toutes nos maladresses s’accumuleraient à une telle vitesse sur nos têtes, avec les représailles et mesures de rétorsion qu’elles entraîneraient, que nous n’y survivrions pas un jour.

 

Car il ne s’agit pas ici de nos offenses volontaires, de nos fautes conscientes, de nos péchés au sens courrant, pour lesquels un pardon ne serait pas approprié, tant que nous ne nous serions pas d’abord corrigés, et que nous n’aurions réparé dans la mesure du possible les injustices commises. Alors que pour tous les torts que nous commettons involontairement, dont nous n’avons la plupart du temps aucune conscience, et qui n’en sont pas moins réels, au contraire, seul le pardon peut nous en libérer. Comme de petits enfants seront volontiers pardonnés de leurs maladresses, et d’autant plus volontiers si, sachant parler, ils en font la demande, de même pour nous vis-à-vis de Toi. Et comme de petits enfants ne seront que difficilement capables à leur tour d’aimer quand ils seront adultes, si ils ont été privés d’amour dans leur enfance, de même pour nous, si Tu ne nous pardonnes pas, comment saurions-nous le faire ?

 

Nous ne pouvons vivre sans nous couvrir d’innombrables dettes vis-à-vis de notre environnement, de notre entourage : nous prélevons notre nourriture physiologique sur des êtres vivants, animaux ou végétaux ; nous prélevons aussi en permanence, comme une sorte de nourriture psychologique, sur nos proches, nos relations, en piochant dans leur capital d’à priori bienveillant, non hostile, sans lequel aucune vie de société ne serait possible. De même, nous ne pouvons survivre sans accorder à notre entourage cette même attitude de sympathie, de confiance, par défaut. Vivre, c’est vivre d’emprunts et de prêts, inextricablement mêlés ; et je ne peux faire l’un si je ne sais faire l’autre, et réciproquement. L’un et l’autre sont leur condition nécessaire et réciproque. Nécessaire, mais non suffisante. Car dans ces écritures de débits et de crédits, il arrive incessamment que nous tirions des chèques sans provision, que nous nous montrions non dignes des avances qui nous ont été faites, que nous gaspillions de manière éhontée ces subsides, et réciproquement que nous soyons victimes des mêmes agissements. C’est pourquoi nous avons besoin que tu viennes incessamment, continûment, insuffler ton amour dans nos relations. Sans toi, nous mourons aussi sûrement que les poissons hors de l’eau.

 

Aussi, ne nous tiens pas comptabilité de tout ce que nous devons, et que nous sommes strictement incapables de rembourser.  À commencer par notre existence, reçue de toi à travers nos parents. Ensuite, pour tout l’amour des éducateurs qui nous ont permis de grandir en intelligence et aussi en sagesse. Et encore, pour l’amour de notre conjoint, ou des frères et sœurs de notre communauté, de nos amis ; la bonne volonté de nos relations, collègues, voisins. La dette de l’amour ne peut s’apurer qu’en aimant à notre tour ; l’amour est un piège redoutable, une maladie hautement contagieuse. Seigneur, que pourrions-nous faire d’autre qu’y consentir ?

 

Pardonne-nous nos offenses, et nous savons bien que tu le fais mais nous nous rassurons ainsi, comme tous les amants qui savent bien qu’ils sont aimés mais ont besoin qu’on le leur dise, et de même nous saurons aussi pardonner à ceux qui nous ont offensés. Et nous saurons aussi nous pardonner à nous-même, toutes nos insuffisances, ce décalage irrémédiable entre la représentation idéale de ce que nous aimerions être et la réalité de ce que nous pouvons être. Nous pourrons cesser de nous culpabiliser de nos limitations, et les accepter, pleinement, sainement, et même nous en réjouir, et leur faire porter fruit. Nos faiblesses pourront devenir nos atouts, dans un renversement de perspective sain et juste. Tu ne nous as pas faits parfaits, nous te le pardonnerons.



 

Et ne nous soumet pas à la tentation mais délivre-nous du mal 



Delivered, par Cornelis Monsma, 2005

Et ne nous soumet pas à la tentation. Les tentations, nous en aurons toujours, heureusement ; elles sont signe que nous sommes vivants, autre chose que des mécaniques, des êtres de désirs, d’aspirations, de projets à concevoir, préparer, réaliser et évaluer. Les tentations sont là, à chacune de ces étapes de nos accomplissements, sous forme d’autres possibilités s’ouvrant à nous, des chemins multiples, mais qui ne mènent pas tous au même terme, qui n’ont pas tous le même intérêt, pour nous, pour les autres ; et nous devons choisir : qu’est-ce qui est le mieux, pour moi, pour eux, pour nous tous ? Et nous ne ferons pas toujours le meilleur choix, parfois même nous choisirons un chemin qui nous amènera à l’opposé exact de ce que nous aurions souhaité ; nous nous serons trompé, comme Adam et Ève, souhaitant acquérir la ressemblance de Dieu et se découvrant mortels. Alors, en ces moments-là, ne permet pas que nous restions aveugles, ne permet pas que le piège que nous nous sommes construit se referme définitivement sur nous et devienne notre tombeau. Et ne laisse pas non plus l’espoir nous déserter irrémédiablement devant les abîmes dans lesquels nous nous sommes précipités.

 

Toi, tu ne condamnes jamais ; ne permet pas que nous nous condamnions nous-mêmes. Ta grandeur ne réside pas dans la hauteur depuis laquelle tu jugerais de nos actes ; tu t’es au contraire toujours tenu à côté de tes créatures, tu n’as pas déserté le champ de ta responsabilité, tu es avec nous depuis toujours et pour toujours, et encore plus spécialement depuis que Jésus, notre frère, nous l’a dit, nous a montré le chemin de la confiance que nous pouvions mettre en toi, et que tu l’as confirmé en le faisant ressusciter des morts. Que pourrait-il y avoir de plus terrible que cette mort qui serait la fin inéluctable de tous nos chemins ?  Même si nous devons cent fois sur le métier nous remettre à l’ouvrage, pourvu que notre ouvrage puisse concourir à ton ouvrage, pourvu qu’il reste toujours un passage vers un au-delà de nous-même, qui n’est pas étranger à ce que nous sommes, mais qui le transfigure, en lui donnant sa pleine signification, qui le récapitule et le transmue en cet autre nous-mêmes que tu es.

 

Ne permet pas que nous désespérions, que nous doutions, que nous oubliions jamais que le soleil est toujours là, derrière les nuages, que la nuit finit toujours par laisser la place au jour, qu’au-delà de la mort c’est encore la vie qui resurgit, nouvelle, ancrée dans celle-ci et cependant radicalement autre. Cette vie-ci n’est que l’ombre de la vie à venir, une image déformée, caricaturale parfois, mais qui peut nous laisser deviner l’autre, dont elle procède, et ce n’est que dans cette vie-ci que nous pouvons, devons, nous préparer à l’autre. Nous n’avons pas de temps à perdre pour nous préparer à l’éternité, tout juste une vie, c’est peu. Ne permet pas que nous la gâchions pour des chimères ; tu es toujours avec nous, tu l’as toujours été, tu le seras toujours, ne nous laisse pas l’oublier.

 

Ouvre nos yeux à toutes les détresses de ce monde, car c’est en nous décentrant de notre petit moi intérieur, de notre petit monde privé, en nous oubliant, que nous pouvons nous recevoir de ce qui nous dépasse, nous découvrir comme faisant partie de bien plus grand que nous, élargir notre origine et notre fin à leurs dimensions ultimes. Car nous ne sommes pas cette parcelle isolée du monde, nous ne sommes pas ce point unique de l’espace et du temps, nous ne sommes pas ce roi sans sujets, solitaire dans sa tour tout en haut contre le ciel. Sans les autres, coupés du monde, hors de toi, nous n’existons pas. Alors, oui, nous serons délivrés du mal, de tout mal. Du mal spirituel de l’orgueil, des maux affectifs de la solitude, de la jalousie, de la peur, de la colère, de l’envie, de l’avarice, et de toute méchanceté, et même des maux physiques. Oui, quand nous serons en union parfaite, en communion intime, avec le monde, plus rien ne pourra nous agresser, ni nous n’agresserons plus personne. Il y aura seulement Dieu qui communique avec Dieu, Dieu qui enrichit Dieu, Dieu qui se multiplie tout en restant un seul et le même.

 

Délivre-nous du mal, non pas que nous ne soyons plus jamais atteints par le mal, non pas que nous vivions dans un monde parfaitement aseptisé, lisse, sans aspérités, comme un retour à la matrice utérine, non, nous ne te demandons pas de supprimer le mal, de le renvoyer à son néant originel. Délivre-nous du mal, ne permet seulement pas qu’il prenne jamais le dessus définitivement dans notre cœur, ne permet pas que nous perdions jamais l’espoir, que nous tombions dans des précipices sans fond, comme si la mer pouvait s’enfoncer jusqu’au centre de la terre, ou comme si le soleil pouvait ne jamais reparaître au bout de la nuit, ou comme si la mort pouvait être la fin de tout ce que nous sommes.

 

 

Amen !

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