26 septembre 2017 2 26 /09 /septembre /2017 11:03

N'est pas inspiré qui veut

 

Dans ce que beaucoup considèrent comme sa troisième topique, après la trilogie inconscient-préconscient-conscient, après la deuxième trilogie, ça-surmoi-moi, Freud introduisit le concept d'une pulsion de mort venant comme s'opposer à un autre concept, celui d'une pulsion de vie. Vue de très loin, cette description du psychisme humain comme étant le champ de bataille de deux forces antagonistes et irréconciliables pourrait sembler guidée par un idéal de sagesse : n'est-il pas raisonnable d'accepter que nous soyons mortels ? N'est-ce pas là un principe de réalité auquel nous ferions mieux de rendre les armes ? Et, ce faisant, ne rejoignons-nous pas finalement cette grande sagesse orientale symbolisée par excellence par le principe du tao, du yin et du yang ?

 

 

Mais suffit-il de prétendre se rattacher à la grande tradition spirituelle de l'humanité pour que cela devienne une réalité ? En fait, déjà quand il inventa le concept de l'œdipe, Freud se prenait les pieds dans le tapis du religieux compris comme opposé au spirituel, comme l'a bien montré Marie Balmary. Le complexe d'œdipe est en effet une machine de guerre destinée à rendre coupables les victimes, à leur dire que si elles ont été "séduites" (selon le vocabulaire de Freud pour parler de ce qu'on appelle aujourd'hui la pédophilie, incestueuse ou pas) par leur père ou leur oncle ou le voisin, c'est parce que ce sont elles qui ont au préalable cherché à le "séduire" (cette fois dans le sens ordinaire du mot). Par le complexe d'œdipe, Freud ne pouvait donc s'empêcher de réintroduire la notion de péché héritée de sa culture juive, et ce en contradiction avec son athéisme proclamé.

 

L'invention du duo eros-thanatos ressort exactement de la même logique, poussée un cran plus loin. Il ne s'agit en effet ni plus ni moins que de ce bon vieux couple de Dieu et du diable, d'un manichéisme qui a effectivement une très vieille histoire dans l'humanité, mais pourtant d'un manichéisme, cette fois, dont s'est beaucoup plus laissé contaminer le christianisme que le judaïsme ! Comme si le rejet par Freud de la religion dans laquelle il avait été élevé l'avait fait dériver, inconsciemment, vers les mêmes rivages, vers les mêmes errements, dont a été victime dans son développement le christianisme en trahissant ses origines. Surprenant destin, donc, de l'homme, lorsqu'il croit vraiment qu'il peut devenir sa propre mesure, et, de plus, l'imposer au reste de l'humanité, pour ne pas parler du reste de l'univers.

 

 

On peut sans doute caractériser la pulsion de mort freudienne par sa manifestation la plus claire : la pulsion suicidaire. Si on veut suivre, en effet, la logique freudienne jusque dans ses conséquences les plus ultimes, on ne peut qu'aboutir à cette proposition étrange, que notre corps, à côté de cette formidable force qui l'habite comme elle habite tout être vivant et qui ne cherche qu'une chose à savoir prolonger sa vie à tout prix, notre corps donc hébergerait aussi exactement de même nature et de même intensité une autre force qui, elle, chercherait à lui faire échouer au plus tôt et définitivement dans cette même entreprise ! Apparemment, il n'est pas venu à l'esprit de Freud cette très simple idée que, ce qui s'oppose à la perpétuation de la vie, c'est ce contre quoi la vie doit se battre pour se perpétuer, et que cela vient donc tout simplement et forcément de l'extérieur de la personne, et non de l'intérieur.

 

Alors on invoque le phénomène de l'apoptose des cellules, ou des suicides collectifs parfois observés de grandes populations d'une même espèce animale quand cette dernière n'est plus freinée par ses prédateurs habituels. Mais on oublie, ou on feint d'oublier, que dans ces deux cas le "suicide" est rigoureusement commandé par un intérêt supérieur : l'apoptose ne demande à certaines cellules du corps de se sacrifier que parce que c'est une nécessité pour le corps en question, et si des colonies entières de petits rongeurs ont pu aller se noyer annuellement dans la mer, c'était parce que l'accroissement excessif de leur population ne leur permettait plus de se nourrir sur leur territoire. Qui alors osera prétendre qu'il peut être très bon pour l'humanité que tel ou telle se suicide pour le bien de la dite humanité ? En général, ce seraient plutôt les plus grands prédateurs de l'humanité parmi ses membres qui seront le plus loin d'être tentés par une telle issue...

 

 

Non, la tentation suicidaire ne vient pas de l'intérieur, mais elle est le résultat de messages de mort implicites qui ont été envoyés de l'extérieur. C'est l'aspect implicite qui est ici le plus important : si les messages étaient explicites, je me révolterais sans aucun doute, je refuserais de m'y soumettre. Mais s'ils sont implicites, je n'ai pas les moyens de les réfuter puisqu'ils n'ont pas été dits, mais seulement sous-entendus. Et ce n'est en général pas le résultat non plus d'un seul message, mais plutôt d'une attitude constante et répétée, d'un déni ou d'une dévalorisation systématiques, qui vont saper à longueur de temps notre moi, qui vont l'éroder sournoisement, jusqu'à ce qu'un jour nous ouvrions les yeux avec effroi sur ce vide en-dessous de nous, sur cet abîme qui s'est ouvert sans que nous ne voyions rien venir et dans lequel plus rien ne peut nous empêcher de tomber.

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